I. L.I.F.E
« Tu es encore en retard, Will ! »
La jeune femme face à lui prends cet air agacé qu’il ne connait que trop bien, et pourtant il sourit, heureux comme jamais. Comme à chaque fois qu’il est avec elle. Il reprend son souffle avant de lui répondre, épuisé d’avoir tant courut pour la faire attendre le moins possible. Même s’il est persuadé qu’elle n’est pas là depuis plus de cinq minutes. Elle le connait depuis des années, et il n’a jamais été à l’heure une seule fois. Toujours un petit détail à régler, un petit truc à terminer, ou un souci avec son frangin à régler. Toujours.
Mais elle s’en accommode. Et comme à chaque fois l’agacement fait tout simplement place à la joie de retrouver son petit ami, sous la forme d’un radieux sourire. Ce même sourire qui a rendu cet homme fou d’elle il y a de cela quelques années. Ce sourire face auquel il s’excuse à chaque fois, poliment, de son retard, même si cela n’est plus vraiment nécessaire à présent. Ce jour n’y fait pas exception.
Il n’était pas différent des autres. Pourtant, et aucun de deux protagoniste n’était proche de s’en douter, ce jour serait le dernier de leur bonheur partagé.
« Qu’est-ce que tu veux faire aujourd’hui ?
- Tout ce que tu voudras. »
C’est toujours ainsi. Elle est toujours là, devant lui, avec son sourire, et son énergie. Toujours pleine de vie, toujours heureuse. Comme un petit soleil. Son petit soleil.
Et comme toujours tout se passe pour le mieux. Elle lui raconte sa journée, ses joies, ses peines, et il fait de même. Et la journée se passe, à un rythme affolant. Trop vite pour que l’un au l’autre ne voit le temps passer. Et encore une fois l’un comme l’autre envisage la possibilité qu’ils vivent ensemble, peut-être mêmes qu’ils se marient. Mais l’un comme l’autre n’en dit pas un mot. Parce que ce n’est pas le moment pour évoquer un tel sujet. Parce que chacun attends une journée spéciale pour se lancer dans quelque chose d’aussi important. Car après tout, il s’agit de changer leurs vies à jamais, de lier leurs bonheurs et leurs avenirs en un futur indissociable, jusqu’à ce que la mort les sépares.
Pour certain l’optimiste est une qualité, pour d’autres une illusion éphémère. Pour ces deux-là, c’était simplement une façon de vivre. Etre ensembles, et rêver ensemble. Il n’y avait jamais rien eu de mal à ça.
Ce soir-là, avant de le quitter, un large sourire étirant ses lèvres, elle avait sorti de son sac à dos un petit cadeau à son attention. Une adorable petite peluche comme elle aimait à lui en offrir depuis qu’elle avait décréter que la chambre de son petit manquait de ce genre de choses. A présent, grâce à elle, il en venait à penser qu’elle en était bien trop remplie. Mais il n’en dis pas un mot et embrassa la brunette pour la remercier de lui avoir fait ce cadeau.
Sans savoir que ce serait la dernière fois qu’elle lui ferait un cadeau. La dernière fois qu’il la verrait.
C’était ainsi qu’était la vie,
avant. C’était ainsi qu’était le bonheur,
avant.
II. K.R.A.S.H
« Hey ! Ça t’arrive de ranger ta chambre ?
-Et toi ça t’arrive de frapper avant d’entrer ? »
Ne faisant pas cas de la douce pique de son jeune frère il s’aventura dans la pièce qui était sa chambre et vint s’appuyer sur le dossier de sa chaise, contemplant par-dessus son épaule l’écran de son ordinateur, fin sourire aux lèvres.
« Qu’est-ce que tu lis ?
- Mes mails !
- Tu es conscients que tu es dans les spam, là ?
- Celui-ci me semblait intéressant.
- Un nouveau jeu ? »
Ne faisant même pas attention au « oui » que lui réponds son petit frère, il se laisse aller à la lecture du mail. Et s’il s’était dit que les jeux en ligne de ce genre n’étaient pas vraiment son genre, celui-ci lui semblait horriblement attirant. L’aspect graphique était à couper le souffle, et l’univers commençait déjà à l’attirer. Et pour couronner le tout, son frère semblait lui aussi être intéressé par ce jeu. Une bonne occasion de passer un peu plus de temps avec lui, de faire quelque chose ensemble.
« On y joue ?
- Tu déconnes ?
- J’en ai l’air ?
- Prenium ?
- J’ai vraiment besoin de répondre ? »
C’est sur ces mots que William quitta la chambre de son jeune frère. Juste le temps de traverser le couloir pour rejoindre la sienne, récupérer son ordinateur et faire le chemin en sens inverse, l’appareil en main. Tout naturellement il s’installa sur son bureau, à côté de lui, et appuya sur le bouton de démarrage de la machine. C’est tout naturellement que la discussion repris entre les deux frères en attendant. Jusqu’à ce qu’enfin William puisse ouvrir sa boite mail et constater qu’il avait reçu exactement le même que son cadet. Tant mieux, cela leur épargnerait le transfert de mail pour qu’il puisse récupérer le lien de l’inscription.
Numéro de carte bancaire entré, ils n’avaient plus qu’à attendre que le jeu s’installe. Laps de temps durant lequel l’ainé se demanda si se lancer dans une telle folie était réellement une bonne idée alors qu’il commençait à songer à se prendre son propre appartement pour emménager avec Ashley. Un moment à se prendre intérieurement la tête avec soit même pour finalement en conclure que de toute façon, il pourrait jouer avec son frère de chez lui et que ça ne dérangerait certainement pas la demoiselle. Peut-être même se laisserait-elle séduire et jouerait-elle avec eux, d’ailleurs ! Il se promit de lui proposer,
la prochaine fois.
Ne sachant pas qu’il n’y aurait pas de prochaine fois. Ne s’en doutant même pas, il s’était laissé prendre aux jeux, une fois aspiré dans l’univers, et se créa un personnage aux longs cheveux verts, et aux yeux de la même couleur. L’originalité dans ce genre lui avait toujours plu, dans ce genre de jeux. Et puis il ne voulait pas passer des heures sur l’apparence de son personnage. Il lui tardait déjà de découvrir. Ainsi, pseudonyme tapé, il valida dans l’espoir que son frère n’y passerait pas des heures, lui. Chanceux ou non, c’est bien vite qu’il perçu sa voix.
« Krysenthem ? C’est pas des fleurs ça ?
- Ce sont ses fleurs préférés.
- ... »
C’est ainsi qu’ils s’étaient aventurés dans ce jeu, ensemble.
III. G.A.M.E
« Des peluches Krys, des PELUCHES !
- Oui bon ça va hein ! Moi au moins j’ai pas un skill à la pokémon !
- …Touché. »
Cela faisait quelques heures à peine qu’ils s’étaient lancés dans cette folle aventure sur ce tout nouveau jeu, et ainsi chacun avait eu loisir d’apprendre à se servir de son « don ». Donner vie aux peluches avait d’abord semblé parfaitement ridicule au nouvellement nommé Krysenthem, mais après coup, il s’était simplement dit que cela ne pourrait lui être qu’utile une fois qu’il aurait pris quelques niveaux et que ce pouvoir serait mieux maitrisé. Et puis, il n’était pas sans penser à Ashley. Nul doute qu’elle trouverait ce pouvoir adorable. Lorsqu’il aura réussi à la convaincre de les rejoindre, bien entendu.
Pour l’heure, les deux continuaient leur découverte du jeu, apprenaient comment se débarrasser des entraves, tentaient de maitriser au mieux leurs « dons ». Et plus les minutes et les heures s’écoulaient plus Krysenthem était sous le charme du jeu. De l’interface, du concept. Peut-être le fait que ce soit avec son frère y était pour beaucoup, il l’ignorait en fait, dans le fond. Mais il s’y plaisait et n’était-ce pas là le plus important ? Fuir un peu le monde réel… y avait-il véritablement quelque chose de mal là-dedans ?
Non, bien sûr que non. Parce que dans tous les cas il y a toujours un retour à la réalité. Les rêves ne durent pas éternellement, et les escapades non plus. Comme tout, leur petite évasion finirait par prendre fin. Puis ils reviendraient jouer, repartiraient, et ainsi de suite. C’était toujours ainsi qu’il avait vu les choses. Seulement tout ne se passe pas toujours comme prévu, et on finit toujours par rencontrer un problème lorsque l’on s’y attend le
« Ça fait un moment qu’on joue là, non ?
- Ouais, probablement.
- On reprend une prochaine fois ?
- Ouais, c’est une idée.
- …Juste une question.
- Je t’écoute.
- Comment on se déconnecte ?
- … »
C’était sans doute la question qu’il aurait fallu se poser en premier lieu. Peut-être même avant de se connecter. Mais qui aurait pu penser que ce genre de problème allait surgir ? Qui aurait pu ne serait-ce que l’imaginer en blaguant ? Il n’y avait aucun bouton pour se déconnecter, aucune option pour quitter ce maudit « jeu ». Et ce n’était pas faute d’avoir cherché. Par faute d’avoir fait se rendre compte à d’autre joueurs qu’ils étaient coincés ici en leur demandant s’ils sauraient résoudre leur problème.
Il fallait qu’ils se rendent à l’évidence, qu’ils acceptent de regarder en face la vérité. Ils étaient coincés ici, sans aucun moyen d’en sortir. Sans aucun moyen de demander de l’aide. Sans aucun moyen de revenir à leur vie. Et la première pensée de l’anciennement William Boswoth s’envola directement vers sa petite amie. Non. Il ne pouvait simplement se résoudre à l’idée de ne plus la revoir. Il y avait un moyen de quitter ce maudit jeu. Il ne pouvait en être autrement. Et ce moyen, il le trouverait.
Il en était déterminé.
IV. A.L.I.C.E
« Alice voudrait te voir. »
Dans l’idée, c’était une requête. Seulement voilà, ni le ton, ni les personnes présentes autour de lui, comme le prenant en embuscade, ne le laissait à penser qu’il n’avait véritablement d’autres choix que de la rencontrer. Bien sûr, sa réputation la précédait. Qui ne savait pas qui était Alice ? Il aurait pu le prendre comme un véritable honneur, s’il n’était pas si méfiant. S’il ne se demandait pas ce qu’elle pouvait bien lui vouloir. Il était méfiant oui, mais curieux…Et la curiosité l’avait poussé à suivre ces inconnus pour être comblée.
« Dis-moi, pourquoi cherches tu tant à nous quitter ?
- …Je ne sais plus.
- Reste à mes côtés alors. Poursuivre un but qui te dépasse n’est certainement pas ce que tu aspire à faire tout au long de ton existence, n’est-ce pas ?
- Je ne sais pas ! Je crois que quelque chose d’important m’attends là-bas.
- Aurais-tu vraiment oublié si c’était si important ?
- Que me reste-t-il, si j’abandonne ces convictions ?
- Tu pourrais me rejoindre. Rejoindre ces gens qui t’ont conduit jusqu’ici.
- Je ne suis pas sûr de comprendre. »
Beaucoup de choses lui échappaient. De plus en plus. Plus il passait son temps ici, moins il comprenait. Le monde, mais surtout lui-même. Tout c’était fait progressivement. Il ne s’en était pas rendu compte. Plus il était resté, plus sa mémoire s’était dégradée. Peu à peu il l’avait effacé de sa mémoire, il avait oublié son existence. Et pourtant, son désir de partir pour la retrouver ne s’était pas estompé. Sa détermination à partir était toujours aussi forte. Il ne savait plus pourquoi, mais au moins ça il le savait, et cela avait été suffisant pour lui, jusqu’à ce jour.
Mais sa rencontre avec Alice l’avait fait douter. Il ne s’était jamais véritablement posé de question, et c’était pour ça qu’il avait su entretenir sa détermination. A présent qu’il cherchait à comprendre, il doutait. Et si elle avait raison ? Si ce pour quoi il faisait tout ça était vraiment si important…L’aurait-il réellement oublié ? Il ne pouvait pas passer sa vie à courir après un fantôme, une chimère. Quelque chose qui n’existait même peut-être pas…
Alors il l’avait écouté. Du début à la fin, sans jamais l’interrompre, et avec une attention qui lui était propre. Il l’avait écouté lui parlé du conseil, de son rôle. Et il avait écouté, silencieux, sa proposition de les rejoindre. « N°3 » était mort, et elle avait besoin de quelqu’un pour le remplacer. Qu’elle l’avait remarqué depuis quelques temps, observé. Et qu’il ferait parfaitement l’affaire. Qu’il ne le regretterait pas.
Et lui, il avait ce besoin d’avoir un but, un nouveau but. Une raison d’être ici, autre que de chercher à partir, à fuir. Ne songeant plus qu’il ne s’agissait pas de fuir, mais plutôt de cesser de fuir.
Alors il avait simplement accepté d’être le nouveau numéro trois du conseil.
Sa vie prenait un nouveau tournant, mais il était loin de s’imaginer combien les choses allaient se dégrader par la suite.
V. O.V.E.R
« C’est terminé. Elle est morte.
- On ne peut pas accepter ça !
- Alice est allée trop loin cette fois…
- Il serait si simple de tout arrêter.
- Non. Tout arrêter serait la laisser s’en tirer malgré son crime. Elle s’en est prise à l’un des nôtres, on ne peut pas simplement tolérer ça. »
C’est ainsi que la conversation entre les membres du conseil suivait son fil. Aujourd’hui, tout allait changer. Tout était déjà en train de changer. Et silencieux, à l’écoute, Krys regardait son petit frère du coin de l’œil. Il était membre du conseil à présent. Il était le numéro quatre, à présent. Et Zelda, elle, elle n’était plus. Assassinée par Alice en personne, pour l’immoralité de son crime. Belles foutaises, tout ça.
Une ombre et un humain ne peuvent s’aimer.Et pourquoi pas ? Son calme apparent n’y changeait rien. L’anglais bouillonnait. Cette idée, le fait que Zelda soit morte à cause de cette maudite idée le mettait hors de lui. Et quoi que décide le conseil, il n’avait pas l’intention d’accepter une telle fourberie. Son idée à lui était déjà toute faite. Son chemin était déjà tout tracé. Avant même que ce ne soit la décision du conseil, il voulait tout abandonner, pour rejoindre un camp qu’il n’aurait jamais pensé rejoindre quelques heures en arrière encore. Les rebelles. Pour lui faire payer. A elle, à la reine. On ne joue pas ainsi avec les sentiments.
« Il suffirait de s’allier à lui. »
Lui. Le nouveau chef des rebelles, Mercure. Et également celui qui avait été le petit ami de Zelda. Quelque part Krys s’était dit qu’il le comprenait, alors que pourtant il n’avait jamais eu à connaitre sa peine. C’était faux. Il savait ce que c’était, de perdre l’être aimée. Il n’en avait simplement plus le souvenir. Il s’était dissipé malgré lui.
Il ne savait même plus avec exactitude qui avait posé cette idée en premier lieu. Mais il avait tout de suite adhéré, comme tous les autres du conseil. Ce qui le réconfortait un peu. Chacun avait son petit caractère, ses qualités comme ses défauts. Tout le mon ne s’entendait pas forcément pour le mieux mais aux yeux du britannique aux cheveux verts ils étaient tous un peu devenus comme une famille au fur et à mesure du temps qu’ils avaient passés ensemble. Et même s’il n’aurait en aucun cas hésité à se retourner contre eux s’ils étaient restés du côté d’Alice, cela était loin de signifier qu’il ne l’aurait pas fait sans peine.
Mais ils restaient ensembles. Marchant vers un même destin, pour changer les choses.
Krys accepta l’idée avec un sourire. Ensemble, ils seraient forts. Plus que quiconque. Plus que la reine, peut-être même plus qu’Alice en personne. Et parce qu’ils étaient ensemble, il était persuadés qu’ils pourraient changer les choses, aux côtés de Mercure et des autres. Elle regretterait son geste. Ils le lui feront regretter. Payer au centuple.
Car ce qui était véritablement immoral, c’était de s’en prendre à Zelda.